• A Val-Villemont, près de Bourges, vivait la petite bergère Solange. Le village actuel porte d'ailleurs le nom de Sainte Solange, protectrice du Berry.

    Elle était la fille de très modestes paysans du village. Sa mère lui contait parfois quelques histoires le soir, notamment celle de Sainte Agnès que Solange aimait beaucoup. Elle admirait son courage, sa foi et désirait un jour aussi rejoindre la paix d'un monastère.

    Chaque jour elle emmenait son modeste troupeau de brebis paitre le long des près qui bordaient la rivière. Elle aimait le calme de sa vie pastorale, à l'ombre des grands arbres, et quand venait le soir, elle retrouvait avec une douce joie l'humble toit de chaume avec sa mère et son père qui rentrait du labour ou de la semaille.

    Depuis son jeune age, Solange était très aimée. Douce, charitable, elle qui n'avait guère que le nécessaire était toujours prête à consoler et à aider. Au fur et à mesure qu'elle grandissait, des dons merveilleux se manifestaient chez elle comme soigner et guérir les malades...Aussi la réputation de Solange n'avait-elle pas tardé à se répandre, et on avait parlé jusqu'à Bourges de cette petite fille qui faisait des miracles...C'est ainsi qu'un jour Bernard, comte de Poitiers et de Bourges, décida de pousser son cheval jusqu'à Val-Villemont afin de voir de ses propres yeux la bergère dont on disait tant de merveilles. Il arriva près de la transparente fontaine si chère à Solange, se désaltéra. Derrière un bouquet d'arbres venait une chanson tranquille. Bernard marcha vers la voix:

    -Est-ce toi Solange, la bergère dont tout le monde parle?

    -Je suis Solange, Messire, mais pourquoi parlerait-on de moi?

    -Mais ne dit-on pas que tu fais des miracles?

    -Ce n'est pas miracle. Dieu exauce souvent qui le prie du fond du cœur!

    Bernard tomba sous le charme de la douceur, la modestie et la beauté de Solange.

    -Je te propose une place à Bourges au milieu des nobles dames!

    -Non, Messire, ma place est ici dans mon village.

    -Tu auras tout ce que tu veux et de grands plaisirs en mon château...

    -Je vous remercie, Messire, mais je ne souhaite pas tous ces plaisirs. Tout ce que je demande, c'est de vivre simplement ici. Passez votre chemin, je vous en prie, et laissez moi à la paix de mon village.

    Bernard s'éloigna et s'irritait de la fermeté imprévue de cette bergère. Mais lui d'ordinaire si brutal, si emporté, était ému devant Solange et il la trouvait si belle, si estimable. Il se jura à lui-même de revenir pour lui proposer de devenir sa femme.

    Il reprit donc un jour le chemin de Val-Villemont, sans escorte, et il retrouva Solange le long de la rivière non loin de la fontaine, tandis que les moutons paissaient tranquillement l'herbe fleurie de mai.

    -N'aie pas peur, dit Bernard qui continua:

    -J'ai décidé de te prendre pour épouse!

    -Grand merci, Messire, mais je dois refuser. Ayez plus de sagesse, je vous prie. Choisissez pour épouse une demoiselle de votre rang.

    -Non, je t'aime, je t'épouserai.

    -Je ne puis accepter, j'ai promis mon cœur à Jésus.

    -Reviens sur ton vœu, épouse-moi. Je l'ordonne.

    -Non pas. Je suis attaché à Jésus comme la feuille à la branche.

    Bernard, pris de colère et de rage, se précipita sur Solange. Il l'entraina sur son cheval qui commençait son galop.

    -Sainte Agnès, protège moi! pria t-elle intérieurement. Et se dégageant d'un mouvement inattendu, elle se laissa couler du cheval.

    -Puisque tu préfères mourir plutôt que d’être ma femme, meurs donc!

    Le comte revenait vers elle, la dague en main et lui trancha la tête d'un seul coup. Devant l'horrible forfait qu'il venait de commettre, Bernard fut comme dégrisé et le remords douloureux le saisit.

    Dans une lumière dorée qui la nimbait comme d'une auréole, elle marchait vers la fontaine proche, tenant sa tête pour aller la laver dans l'eau claire qui chantait...

    De nos jours une chapelle se dresse dans la prairie, tout près de la fontaine qui murmure toujours entre les saules.

      

     D'après Marie-Louise et Jean Defrasne, Contes et Légendes du Berry, Fernand Nathan, Paris, 1956

     

     

     

     

     


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